Gregory Bateson, son histoire
Jean-Bernard Lievens
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Gregory Bateson, son histoire
Grégory Bateson était perçu comme une personne ayant une culture générale et scientifique très vaste. Il connaissait personnellement tous les gens importants dans le domaine scientifique. Jamais, il n’a fait de distinction entre sa vie privée et sa recherche scientifique ; étudiants et scientifiques étaient invités chaque semaine chez lui pour débattre de questions scientifiques et philosophiques. Mais, en plus de sa passion pour l’étude, les idées défendues par son père ont défini les options fondamentales qui l’ont marqué toute sa vie.
Son grand-père était déjà connu au St John’s College de l’université de Cambridge. Son fils William (père de Grégory) a étudié la zoologie dans la même université.
Ce dernier était un homme de science avant tout. Vers 1859, de nombreux scientifiques dont William Bateson sont occupés à essayer de confirmer ou d’infirmer les thèses de Darwin.
A cette époque, deux conceptions assez différentes tentent, en effet, d’expliquer le phénomène de l’évolution :
la thèse de Darwin et
celle de Lamarck.
Pour le premier, les changements organiques se produisent au hasard ; pour Lamarck, ils se produisent directement sous l’influence du milieu. Après s’être positionné pour l’un et pour l’autre, William Bateson parviendra à la conclusion que l’organisme est comme un tout intégré et coordonné et non comme un assemblage de « caractères ». Cette période des recherches de son père aura une influence déterminante sur les outils de réflexion de Grégory Bateson et l’amènera à penser qu’il faut rechercher le même type de processus dans tous les domaines des phénomènes naturels.
En 1900, William Bateson prend connaissance des travaux de Gregor Mendel dont il est grand défenseur. Il développera cette nouvelle science qu’il baptisera « génétique » et appellera son troisième fils Gregory en hommage à Mendel.
Dans cette grande famille intellectuelle anglaise, Gregory Bateson voit le jour le 9 mai 1904. Il a deux frères plus âgés, John (1898) et Martin (1899), sur lesquels tous les espoirs familiaux vont se porter. John accomplit de brillantes études de biologie à Cambridge mais sera tué à la fin de la guerre, en 1918. Toutes les attentes du père sont alors reportées sur Martin qui est déchiré entre les responsabilités familiales d’une brillante carrière scientifique et ses élans artistiques, auxquels ses parents n’adhèrent pas du tout. Il se suicidera en 1922. Dès lors, toute l’attention des parents se portera sur Gregory. Son enfance tourne autour des travaux de son père.
Gregory reprendra notamment les positions humanistes et l’amour de la science chantés par son père. Dans La nature et la Pensée, Bateson insiste beaucoup sur les relations entre les choses, sur leur structuration formelle hiérarchisée, sur ce qu’il appelle « la structure qui relie ». Chaque chose n’est-elle pas entremêlée avec toutes les autres ?
Comme ses aînés, Grégory entame tout naturellement des études de biologie à Cambridge. A 21 ans, un milliardaire lui propose de l’accompagner, comme expert en biologie, dans une croisière au Galapagos. Le voyage, peu satisfaisant du point de vue des découvertes biologiques, lui permettra cependant de rencontrer des gens de cultures différentes et de faire son choix : il sera anthropologue. Venant de la rigueur formelle de la biologie, Bateson est très vite frappé par les lacunes théoriques et la pauvreté des outils méthodologiques de l’anthropologie. Il commence alors à se questionner : « Comment doit-on s’y prendre pour construire un outil qui permette de rendre compte d’un phénomène aussi complexe qu’une société ? Comment donner à une description une trame théorique qui puisse l’expliquer ? » Peu après la mort de son père, en 1927, Gregory part effectuer un travail sur le terrain en Nouvelle-Guinée, chez les Baining, une tribu de chasseurs de têtes. Sur place, il ne comprend pas ce qui se passe et, surtout, il ne sait pas quoi observer. Néanmoins, il essaie de réfléchir à une méthode de recherche et d’analyse en tentant d’adapter les analyses formelles auxquelles il a été formé en biologie. Il reste 8 mois chez les Baining et y réalise une étude de la vie quotidienne. Après un séjour à Sidney, il part dans une autre tribu, les Sulka où il continuera à être agacé par sa propre incapacité à décrire la vie indigène. Il ira ensuite chez les Iatmul où il restera près d’un an avant de rentrer à Cambridge en 1930 pour rédiger le compte rendu de ses recherches. En 1932, il repart chez les Iatmul pour un travail de maîtrise et y fera la rencontre de deux autres anthropologues : Reo Fortune, néo-zélandais et Margaret Mead, américaine. Les discussions à trois sont interminables. Fortune et Mead sont impressionnés par la rigueur méthodologique de Bateson. Quant à eux, formés tous deux à l’école américaine, ils initient Gregory à l’étude de l’individu, aux questions de personnalité, aux explications de la psychologie de la Gestalt, de la psychanalyse et des théories de l’apprentissage. Ensemble, ils essayent de comparer les cultures anglaise, néo-zélandaise et américaine en appliquant, sur eux-mêmes, les théories psychologiques de l’époque. Cette expérience fut bouleversante pour tous les trois, tant sur le plan intellectuel qu’affectif. Margaret Mead et Gregory Bateson tombent amoureux et après son divorce d’avec Fortune en 1934, Bateson et Mead se marient.
A son retour, Gregory Bateson rédigera une thèse de maîtrise qui aura pour sujet une cérémonie rituelle des Iatmul, le naven (= rituel de travestissement se déroulant dans la tribu lorsqu’un enfant ou un adolescent accomplit, pour la première fois, un acte d’adulte). On retrouve ici une idée courante en biologie, à savoir que l’étude d’ « un seul micro-organisme peut révéler des mécanismes essentiels pour la compréhension de tout organisme vivant ».
. La schismogenèse
Après plusieurs mois de travail anthropologique chez les Iatmul de Nouvelle-Guinée, Bateson revient à Cambridge pour rédiger une thèse de maîtrise qui aura pour sujet une cérémonie rituelle des Iatmul, le NAVEN.
La parution de son livre Naven a eu lieu en 1936. Il est accueilli très froidement dans le milieu de l’anthropologie. Bien que ce livre présente des détails de la vie et de la culture des Iatmul, Bateson vise surtout à proposer des méthodes d’analyse de problèmes anthropologiques.
Il dira que ce livre ne constitue qu’une étude de la nature de l’explication, une tentative de synthèse, une étude des manières dont les données peuvent être structurées dans un ensemble.
L’ouvrage recouvre 3 niveaux différents d’abstraction :
1. Il décrit de manière la plus neutre possible la culture Iatmul.
2. Il relie les données en fonction de différents points de vue : émotionnel, cognitif, structurel, fonctionnel. Il veut rendre compte de l’organisation culturelle des instincts et des émotions de l’individu. C’est un aspect global qui n’a pas encore été considéré par les anthropologues. Il va créer un terme nouveau « éthos » de la culture = l’esprit, la tonalité générale d’un peuple.
3. Il s’attaque au processus même de l’élaboration de ces diverses théories explicatives.
ATTENTION : Avant la publication, Bateson va s’apercevoir qu’il a commis l’erreur de confondre les catégories explicatives avec la réalité de la vie sociale, il a « chosifié » les concepts. Il va corriger tout le manuscrit pour distinguer « la carte du territoire ». Pour Bateson, un concept cependant est important, il est une description de processus de connaissance adoptés par l’homme de science. Il poursuivra cette réflexion épistémologique ultérieurement.
• Qu’est-ce que le naven ?
La cérémonie du Naven sert à souligner le fait qu’un enfant de sœur (laua), le plus souvent un garçon, vient d’accomplir, généralement pour la première fois de sa vie ,un acte typique de la culture Iatmul . Ces actes peuvent être très variés : par exemple, la première fois qu’un garçon tue un ennemi, un étranger ou une victime achetée ou qu’il exécute un acte culturel mineur, tel que tuer un animal, planter une plante, abattre un palmier, faire fonctionner un propulseur, manier une hache de pierre et affûter un harpon. Le Naven peut aussi souligner les changements de statut social et les événements, tels que le perçage des oreilles ou du septum, du nez, initiation, le mariage, etc… Les filles n’ont pas autant d’occasions que les garçons de célébrer le Naven ; la liste comprend la capture d’un poisson avec un hameçon et une ligne, la cueillette de papillons, le lavage du sagou, la cuisson des crêpes de sagou, la fabrication d’un piège à poissons et la grossesse.
– Description sommaire de cette cérémonie Dans la cérémonie du Naven, les deux protagonistes principaux sont le laua (enfant de la sœur) et l’oncle maternel appelé le wau. Pour l’événement, un oncle maternel de l’enfant (wau) revêt des haillons de femme, tels que leurs plus sales vêtements de deuil, se coiffe d’un vieux chapeau et se barbouille le visage de cendres. Ainsi déguisé, il porte le nom de Nyame (= mère). Cet oncle part alors à la recherche du laua en clopinant dans le village. Il est l’objet de la risée des enfants, qui se pressent autour de lui et le suivent. Parfois, le wau s’enquiert auprès des spectateurs de l’endroit où peut se trouver le laua. Celui-ci, dès qu’il se rend compte que son wau va se couvrir de honte, doit échapper au spectacle de sa dégradation en quittant le village ou en se cachant. Si le wau réussit à trouver le laua, il faut s’abaisser encore davantage en frottant la fente de ses fesses sur toute la longueur de la jambe du laua. Le garçon devra alors se hâter d’amadouer son oncle en lui offrant des cadeaux de valeur, par exemple, des objets fabriqués à partir de coquillages. Si le wau ne réussit pas à rencontrer son laua, cette scène se termine et un échange de cadeaux vient conclure la cérémonie quelque temps plus tard. Les femmes peuvent également participer à ce rituel de travestissement. Cependant, contrairement aux hommes, ces femmes, des sœurs, des sœurs du père, des femmes des frères aînés, des mères, et des femmes de frères de mère) revêtent les plus élégants vêtements des hommes. De plus, elles peuvent emprunter à des parents, à leur mari, à leurs frères, ou à leur père de beaux chapeaux de plumes et des ornements ; elles peuvent aussi se peindre le visage en blanc et porter à la main un bâton à chaux en dents de scie, dont les glands indiquent le nombre d’hommes tués par le possesseur. Ces costumes font généralement l’envie des hommes.
Un concept très important développé dans son étude des Iatmul est celui de la SCHISMOGENESE (= un processus de différenciation).
Il faut d’abord s’attarder à la manière dont Bateson construit sa pensée, donc comment il en arrive à élaborer un concept. Il utilise une méthode abductive, c’est une forme de raisonnement par analogie. Il montre comment les façons de penser en chimie et en physique peuvent s’appliquer à d’autres domaines d’observation. Pour comprendre l’organisation sociale des Iatmul, il va utiliser ses connaissances en biologie des processus de développement embryologique chez les animaux. Il va observer une organisation particulière des différents segments du corps chez les animaux à symétrie radiale (méduse, anémone de mer), organisation bien différente des animaux à symétrie transversale (ver de terre, être humain). Il va transposer de façon analogique cette organisation à l’observation sociale des Iatmul : la société Iatmul n’est pas hiérarchisée, le contrôle des individus se fait par sanctions latérales. S’il y a scission au sein d’un village, les deux groupes vont garder des mœurs identiques… (contrairement aux sociétés occidentales qui fonctionnent selon le modèle des animaux à symétrie transversale- cfr le ver de terre)
Donc Bateson va s’attarder aux phénomènes d’interdépendance du comportement des uns et des autres. Il va observer que certains comportements tendent à maintenir le statu quo dans les normes culturelles alors que d’autres comportements amèneraient des changements s’ils n’étaient pas réprimés. Le statu quo est donc un équilibre dynamique où des changements se produisent continuellement : d‘un côté, il y a des processus de différenciation qui accentuent l’écart et de l’autre côté, il y a des processus qui contrarient cette tendance à la différenciation.
Les processus de différenciation s’appellent schismogenèses.
Ce concept est une vraie révolution : il va permettre de passer d’une vision intrapsychique du comportement humain à une vision interactionnelle : le comportement d’un être humain est aussi déterminé par la réponse de l’autre. Donc pour comprendre le comportement d’un individu, il faut tenir compte des liens entre cet individu et son entourage. Bateson va distinguer deux types de schismogenèse : la schismogenèse symétrique et la schismogenèse complémentaire.
Par exemple, chez les Iatmul, les plus grands villages sont continuellement menacés de fission. Ces fissions sont liées à la surenchère des hommes entre eux. Les hommes Iatmul donnent beaucoup de valeur à la fierté, à l’affirmation de soi, à la rudesse, à la parade… Il va décrire la relation des hommes entre eux comme une relation en miroir, une relation symétrique : le comportement d’un groupe est la vantardise, l’autre groupe répond par plus de vantardise… On est dans une spirale de compétition qui peut mener à l’éclatement. C’est ce fonctionnement que l’on retrouve dans les courses aux armements ou dans le déclenchement d’une guerre. C’est une schismogenèse symétrique.
Par contre, dans la culture Iatmul, les conduites des hommes et des femmes sont opposées. Les hommes occupent le milieu de la scène, ils interagissent entre eux comme si la vie était une grandiose représentation théâtrale, spectaculaire. Quant aux femmes, elles se conduisent la plupart du temps comme si la vie n’était qu’une joyeuse routine de travail en commun au sein de laquelle la recherche de nourriture et l’éducation des enfants seraient animés par les activités spectaculaires et exaltantes des hommes. Ainsi, les femmes passent la majeure partie de leur temps à faire des travaux domestiques et ces activités sont réalisées dans la discrétion et l’intimité.
Selon lui, le processus de différenciation dans les normes de comportement adoptées par les hommes et par les femmes résulterait d’interactions cumulatives entre ces deux groupes. En fait, les hommes sont probablement d’autant plus exhibitionnistes que les femmes les admirent. Réciproquement on ne peut douter que le caractère spectaculaire soit un stimulant qui encourage chez les femmes la conduite complémentaire appropriée… La schismogenèse entre les hommes et les femmes serait de type complémentaire. Il va analyser différents facteurs qui vont soit accélérer le processus, soit l’atténuer.
• L’importance du Naven
Dans la culture Iatmul, les hommes sont fanfarons mais n’expriment pas leur affectivité personnelle. Les femmes expriment facilement leur affectivité mais n’ont pas appris à assumer un rôle spectaculaire en public. Dans le Naven, les rôles s’inversent : les hommes portent les vêtements de veuves (or les conduites habituelles de deuil chez les femmes sont très expressives, contrairement à celles des hommes) et les femmes paradent dans les plus beaux habits des hommes ; elles se moquent de façon ostentatoire de leurs conduites orgueilleuses. Le Naven permet un mécanisme de compensation qui fait contrepoids à la schismogenèse complémentaire entre les hommes et les femmes de cette société.
Dans les villages, les scissions se font selon les lignes des groupes patrilinéaires. Et Bateson observe que le type de relation qui s’établit entre les beaux-frères est de type symétrique. Il émet l’hypothèse que la relation complémentaire du Wau à l’égard du Laua au cours de la cérémonie du Naven est un cas de contrôle d’une schismogenèse symétrique par l’introduction de modèles complémentaires du comportement. La cérémonie du Naven aurait donc pour fonction d’assurer l’équilibre dans la dynamique relationnelle entre les lignées matrilinéaire et patrilinéaire en atténuant le rapport symétrique entre ces deux clans.
Bateson va appliquer le concept de Schismogenèse à d’autres situations que la culture Iatmul : aux conflits conjugaux qui conduisent parfois à la rupture, à la formation de l’individu, à l’inadaptation progressive des individus pré-psychotiques et névrotiques ( il suggère aux psychiatres de s’intéresser aussi aux relations des individus et de leur entourage), au domaine politique comme les rivalités internationales et la lutte des classes.
Ce terme sera abandonné mais son principe sera réutilisé par Watzlawick sous l’appellation simplifiée de relations symétriques et relations complémentaires.
Comme dit précédemment, Bateson et M. Mead se marient en 1935 alors qu’ils font route vers Bali. Pendant 2 ans, ils vont filmer et photographier de nombreuses séquences de la société Balinaise. Ils publieront en 1942 : « Le caractère balinais : une analyse photographique ». Ce livre montre des photos décrivant une séquence de comportement ou d’interaction. Toutes les photos sont commentées. Ils démontrent que l’apprentissage relationnel définit un certain type de personnalité propre aux membres d’une culture. Ils sont persuadés que le « caractère » des individus est façonné par la culture et notamment par les interactions cumulatives entre la mère et l’enfant.
Ils diront que la culture balinaise est très différente de la nôtre et que l’adaptation des individus ressemble à un caractère schizoïde, caractère qui dans notre société, est considéré comme inadapté. Pour expliquer la thèse des interactions cumulatives entre la mère et l’enfant qui forge un type de caractère, Bateson va développer une théorie de l’apprentissage en plusieurs niveaux hiérarchiques. Plus tard, il reprendra cette théorie à la lumière des concepts cybernétiques.
. Les conférences Macy
• Introduction
Ces rencontres, organisées par la Fondation Macy, regroupaient des chercheurs de différentes disciplines (mathématique, physique, psychologue, neurologues, anthropologue,…) qui avaient tous comme croyance qu’il fallait tenter de communiquer au-delà des frontières qui séparent les différentes sciences. C’est à leur retour de Bali en 1942 que Mead et Bateson sont invités à la 1e conférence qui traite de « l’inhibition cérébrale ».
Le contexte historique dans lequel se déroulent ces rencontres est important. Ce mécanisme (« l’inhibition cérébrale ») avait été précédemment remarqué au début du siècle par Claude Bernard qui avait effectué l’analogie entre le processus de régulation de la machine à vapeur et les organismes vivants confrontés à des changements internes et externes pouvant perturber leur métabolisme. Un peu plus tard, c’est Walter Cannon qui donnera à ce phénomène le nom « d’homéostasie » voulant qualifier cette tendance au maintien de l’équilibre. Ensuite, la guerre éclate. C’est à cette époque que le concept de feed-back (ou rétroaction) est découvert par Wiener et Bigelow (respectivement mathématicien et physicien) dans la conception d’un avion de guerre permettant de tenir compte du déplacement de l’avion-cible et de la réduction de l’erreur du tir. Rapidement, ces deux hommes font le parallèle entre ce type de phénomène et les mouvements chez l’homme : lorsqu’on souhaite qu’un mouvement suive un modèle, l’écart entre ce modèle et le mouvement réellement effectué est utilisé comme une nouvelle donnée (feed-back) pour amener la partie qui se déplace à suivre une trajectoire plus proche du mouvement prévu par le modèle. Durant cette rencontre, il est fortement question de l’hypnose. Suite à cette rencontre, un article est publié afin de proposer une approche comportementale des phénomènes. Il s’agit donc d’examiner le comportement observable, les réactions, les outputs en relation aux inputs et sans spéculer sur les caractéristiques internes de l’entité observée. Dans ce cadre, le concept de feed-back est, selon ces auteurs, la clé de l’explication de tout comportement intentionnel.
On se souviendra que Bateson avait été interpellé, lorsqu’il étudiait le comportement des Iatmul, par la symétrie et la complémentarité des comportements des sous-groupes en présence. Il n’avait cependant pas pu trouver une explication cohérente du retour à la normale puisque le concept de feed-back négatif (qui est la base du phénomène d’autorégulation) n’existait pas encore. Il n’avait donc décrit que le feed-back positif.
C’est tout doucement que le rapprochement entre les sciences et les sciences humaines s’est effectué.
• Nouveaux concepts pour les sciences humaines L’interaction de l’homme avec son environnement se fait au travers de la communication, de l’échange d’informations. Ces échanges se structurent, des règles relationnelles s’instaurent. Nous sommes influencés par les personnes de notre entourage et nous les influençons. Tout comportement s’inscrit dans ces boucles ou dans ces réseaux d’interactions. La cybernétique offre donc un modèle pour l’étude de la pathologie et de la « normalité » dans le comportement humain. Dans cette partie, nous allons nous intéresser à certains concepts essentiels sur lesquels le groupe de Palo Alto se fonde pour créer leur approche interactionnelle du comportement humain : la causalité circulaire, la théorie des types logiques et l’information.
– Les phénomènes à causalité circulaire
Contrairement à l’un des principes de la « science classique » (diviser les éléments constitutifs pour comprendre le tout), la cybernétique et la théorie des systèmes soutiennent que l’analyse de chaque élément d’un système ne permet pas de saisir les caractéristiques de l’ensemble. Il semble évident que nous ne pouvons comprendre le sens d’un comportement que si nous le replaçons dans le contexte de l’ensemble dont il fait partie car il est « contrôlé » par l’ensemble. Dans cette théorie, le système de causalité linéaire ne tient plus. Lorsque différents éléments sont en interaction, le comportement d’un élément est une « cause » pour l’élément qui le suit dans le circuit d’interaction : la causalité devient donc circulaire.
– La théorie des types logiques
Un autre élément intéressant Bateson est la procédure de l’abstraction. Lorsqu’on a affaire à des éléments particuliers qui sont membres d’un ensemble d’éléments, il est fondamental de distinguer le discours qui concerne les éléments individuels de celui qui concerne la globalité des éléments. Cette distinction est fondamentale car, si on les confond, le raisonnement qui sera tenu par la suite risque d’être paradoxal. Ce qui intéresse Bateson avant tout, c’est l’existence d’une structuration hiérarchique des propositions du langage. Lorsqu’on formule un énoncé sur un ensemble, cet énoncé est d’un ordre d’abstraction hiérarchique supérieur aux énoncés émis sur les éléments particuliers de cet ensemble. Cependant, bien que cette distinction semble aller de soi, il est important de souligner que notre mode de communication principal, le langage verbal, ne permet pas la distinction entre ces deux niveaux logiques. Ce qui fascinait Bateson dans la théorie des types logiques, c’est que l’homme est amené à traiter, classer, généraliser,… les informations qu’il reçoit du monde. Dans cette action, il est possible que des erreurs se produisent, que certaines informations soient attribuées à un niveau logique alors qu’elles sont d’un niveau différent. Ceci peut amener l’individu à ne plus pouvoir fonctionner adéquatement.
– L’information
Pour bien comprendre l’importance de l’apparition du concept d’information dans le champ des sciences, il est nécessaire de raconter son histoire qui provient de la physique et plus particulièrement des lois de la thermodynamique, énoncées par Clausius en 1865.
La thermodynamique et l’information
Il existe deux lois de la thermodynamique : • La 1e définit le principe de conservation d’énergie : l’énergie du monde est constante. Elle concerne donc la quantité de l’énergie du monde. • La 2e loi introduit la notion d’entropie. L’entropie du monde tend vers un maximum ; ou encore, la propagation de la chaleur tend toujours à établir une distribution homogène de température dans le corps où elle se produit. L’énergie totale du monde se dégrade de façon continue jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus être utilisée pour obtenir un effet. L’idée ici est que seule les différences peuvent produire des effets.
Boltzmann reprend les travaux de Clausius et déclare que l’entropie est une propriété d’un nombre énorme de particules et que l’ensemble de ces particules tendent vers un désordre de plus en plus grand. Lorsqu’on parle de tendance à l’entropie, il s’agit donc de la tendance au chaos, au sens de l’absence de tout ordre, quel qu’il soit.
Dans cette 2e loi de la thermodynamique, l’accent n’est plus mis sur la quantité mais sur la qualité, l’organisation, l’ordre. C’est cette qualité qui se dégrade : toute chose, si on la laisse à elle-même, tend à devenir moins ordonnée.
En outre, Boltzmann avait également fait le lien entre l’entropie et l’information en remarquant que l’entropie est reliée à de l’information manquante. Cela marque un tournant décisif dans l’histoire des sciences puisque les lois de Newton postulaient que tout processus physique était réversible et donc atemporel (donc qu’on pouvait prédire le passé et le futur d’un système en en ayant une connaissance approfondie à un moment donné). Cependant, selon cette 2e loi, si aucune nouvelle source d’énergie n’intervient, l’entropie ne fera qu’augmenter.
Cette 2e loi de la thermodynamique est donc anthropomorphique car elle en dit plus sur les limites que la nature impose à l’homme dans sa connaissance de la nature que sur cette nature elle-même.
Shannon et l’entropie
C’est Shannon qui effectuera le lien entre information et entropie. Selon lui, toute information n’existe que si l’émetteur dit quelque chose qui change la connaissance du récepteur, qui réduit son incertitude. Le parallèle est alors apparu évident puisque tout comme la quantité d’information dans un système rend compte de son degré d’organisation, l’entropie d’un système est une mesure de son degré de désorganisation. L’un est donc l’inverse de l’autre.
Dans un système, plus il y a d’échanges entre ses différents éléments constitutifs, moins l’entropie est grande puisque ces échanges vont agir comme des contraintes qui limitent la distribution aléatoire des éléments. Ici, l’information est vue comme une restriction, une contrainte du système et elle permet donc le contrôle et la prévision.
Information et énergie
Pour expliquer les phénomènes qui présentent une organisation, il faudra donc se baser sur la 2e loi de la thermodynamique plutôt que sur la 1e. Ceci s’applique dès lors à notre étude du comportement puisque tous les systèmes vivants ont cette caractéristique d’être composés d’éléments en interaction.
Si nous ne prenons que l’énergie comme base explicative du comportement humain (comme c’est le cas dans les théories de psychologie dynamique), cela nous amènerait à ignorer l’existence de phénomène de feed-back.
L’explication cybernétique est tout autre. Lorsqu’on a affaire à des éléments en interaction régulée, le comportement d’un élément n’est pas seulement lié à une quantité d’énergie transmise mais à d’autres facteurs déterminants et contrôlant qui définissent l’organisation, l’ordre et les contraintes du système. La cybernétique explique donc les phénomènes qui se produisent en montrant pourquoi c’est ce phénomène-là plutôt qu’un autre qui se produit en raison de l’ensemble des restrictions auxquelles le système est soumis. Il s’agit donc d’une explication de type négatif.
. Communication digitale et analogique
Bateson s’intéressera aux théories du codage de l’information en lisant Shannon et Weaver. Le point clé de ses recherches étant la manière dont nous transformons les événements extérieurs en informations symboliques transmissibles, et donc comment nous les ‘codons’. Le codage est donc une transformation d’un certain type de données entre l’input et l’output. Le principe de base de ce codage est que nous gardions les relations formelles entre l’événement et les éléments transmis, car lorsque cette relation est biaisée, nous pouvons avoir des difficultés à nous adapter à l’environnement. Prenons par exemple un piéton qui penserait le feu rouge lui somme de traverser la rue, il mettrait sa vie en danger ! Dans ce cas précis, le codage réalisé serait donc peu adapté !
Le codage digital fonctionne en tout ou rien, la correspondance entre les données et la manière dont elles sont codées est arbitraire. Par exemple, un numéro de téléphone n’a pas de lien direct avec le nom de l’abonné, la relation est purement digitale. Le nom que nous donnons aux choses qui nous entourent est également purement digital. Dans le langage humain, seules les onomatopées montrent un lien entre la chose et son nom.
Le codage analogique est quant à lui basé sur la relation entre x et y. Les physiciens trouvent que le thermomètre est un bon exemple, toute augmentation de la température est transformée en une élévation de la colonne à mercure. Dans le langage humain, c’est le ton qu’on va donner à une phrase, le geste que nous allons produire qui sont les analogies. La communication analogique a donc des liens directs avec ce qu’elle représente. Par exemple, écouter la radio dans une langue inconnue est difficile alors que nous pouvons regarder une chaîne télévisée étrangère sans trop de difficulté pour en comprendre le sens.
La communication analogique est donc beaucoup plus archaïque, chez les humains, la communication digitale est venue s’installer sur les bases analogiques. L’homme est d’ailleurs le seul à pouvoir combiner ces deux types de communication, il communique beaucoup plus de manière digitale, mais l’analogique n’est pas à négliger, il renvoie à la relation, au non-verbal. On peut mentir digitalement, mais analogiquement ça semble beaucoup plus difficile ! Ces deux modes de communication coexistent donc et se complètent.
Une grosse différence entre ces deux types de langage est qu’il n’y pas de négation dans l’analogique, contrairement au digital. Le matériel digital est beaucoup plus précis, il amène des nuances qui sont difficilement traductibles en analogique, comme les phrases conditionnelles par exemple. La communication analogique ne possède pas d’élément pouvant nous aider à comprendre un signe ambigu : les larmes en sont le meilleur exemple, comment, en restant uniquement au niveau de la relation pourrions-nous différencier des larmes de joie ou de tristesse ? L’analogie ne permet pas non plus de distinguer le passé, le présent et le futur. La communication digitale ne permet pas quant à elle de parler sur la relation.
Jackson différencie également 3 autres types de codage (iconique, la partie pour le tout et holographique) que nous ne détaillerons pas ici, mais vous renvoyons à l’article pour en savoir plus.
. La ponctuation de la séquence des faits
Le monde ne nous apparaît pas comme un flux continu dans lequel rien ne se distingue du reste. Nous « découpons » notre univers en ensembles distincts. Ce découpage possède vraisemblablement, comme le codage, un fondement génétique. Nous percevons des séquences dont les divers éléments nous paraissent reliés d’une manière causale. En outre, l’apprentissage culturel (nous amenant à structurer telle séquence de telle manière plutôt que de telle autre) vient se greffer sur cette base génétique pour la prolonger. Le fait que nous apprenions à nous considérer comme « spectateurs » de notre environnement nous amène souvent à nous exclure des processus de causalité circulaire, et dès lors à nous considérer comme des « réactants ». Cependant, il est bien plus aisé, pour un observateur extérieur, de percevoir les patterns interactionnels répétitifs et donc d’envisager le phénomène à partir de causalité circulaire. La ponctuation d’un phénomène consiste donc à découper les séquences interactionnelles afin de repérer les effets et les causes d’un phénomène quelconque.
Pour un observateur extérieur, une série de communication peut être considérée comme une séquence ininterrompue d’échanges. Cependant, les partenaires introduisent toujours dans cette interaction une certaine ponctuation de la séquence des faits. C’est cette ponctuation qui structure les faits. Elle est donc essentielle à la poursuite de l’interaction. Le désaccord sur la manière de ponctuer une séquence de faits est souvent à l’origine d’innombrables conflits qui portent sur la relation.
. Contenu et relation ( les deux niveaux d’un message)
Bateson a montré que tout message comporte deux aspects : l’aspect qu’il appelle « indice » transmet une information et l’aspect qu’il appelle « ordre » qui définit une relation. Par exemple, on peut donner à un ordinateur les chiffres 2 et 3 (c’est l’indice, l’information) et donner la consigne de multiplier les deux chiffres ( = l’ordre , c’est à dire la relation entre les deux chiffres).
Dans la communication humaine, l’indice s’appelle le contenu et l’ordre désigne la relation entre les partenaires. L’aspect « contenu » transmet une information tandis que l’aspect relation se réfère à la manière dont on doit comprendre le message. Exemple : « Vivement 6h1/2 que je me repose un peu ! » Imaginons cette phrase exprimée par un travailleur à un collègue de travail avec qui il s’entend bien … Imaginons-la dans la bouche d’un travailleur à son chef hiérarchique…. ou alors comme Geluck dans un contexte d’humour .(cfr dessin)
Si l’aspect « relation » de ce message était exprimé verbalement dans les 3 contextes, cela donnerait ceci :
Phrase exprimée entre collègues : « Je t’exprime mon désir de repos et comme l’on s’entend bien, je m’attends à ce que tu sois compatissant »
Phrase exprimée à un chef hiérarchique : « Tu m’en demandes trop aujourd’hui et j’en ai assez de tenir cette cadence imposée »
Phrase dans un contexte humoristique et décalé « Je veux te faire rire ».
L’aspect relation peut s’exprimer de manière non verbale, par les cris, le sourire ou il peut se comprendre en fonction du contexte où s’exprime la communication. L’aspect « relation » est donc une communication sur une communication, c’est une méta-communication . La communication a donc une structure hiérarchique et le préfixe « méta » utilisé par les mathématiciens va entrer dans le langage des théoriciens de la communication.
Comme disent les systémiciens dans un sens plus général, on méta-communique. C’est à dire qu’on communique sur la communication quand il y a une incertitude quant au sens des messages. La méta-communication précise dans quelle catégorie les messages qui ont été émis ou vont être émis doivent être classés.
Exemple : Un mari rentre du travail et trouve sa femme occupée à regarder la télévision ; il lui dit bonjour et elle lui répond de manière distraite. Le mari peut classer ce comportement dans la catégorie « marques de désintérêt » ou encore « signaux de mauvaise humeur » ou « je suis fâchée sur toi », etc… Si l’épouse vient ensuite près de lui et lui dit « Excuse-moi, mais ce film était passionnant et je ne voulais pas rater la fin », elle précise comment elle souhaite que son mari décode son comportement. Mais attention : les mots utilisés pour méta-communiquer sont les mêmes que dans le langage courant, ils peuvent prêter à confusion. Méta-communiquer n’est pas la panacée universelle pour résoudre les conflits : le mari pourrait prendre la méta-communication comme un message porteur d’un affront supplémentaire « Tu as vraiment décider de me blesser aujourd’hui ! » et répondre dans un processus d’escalade.
Les conflits relationnels permettent d’étudier les troubles de la communication provenant d’une confusion entre le contenu et la relation. Le désaccord peut surgir au niveau du contenu ou au niveau de la relation et ces deux formes dépendent l’une de l’autre.
Exemple : deux personnes discutent sur Mozart et l’un affirme que « Mozart est mort à 35 ans ». L’autre n’est pas d’accord et défend son affirmation. On peut ouvrir un dictionnaire et trancher le désaccord. Mais ce qu’il reste, c’est un problème au niveau de la relation : les deux personnes doivent se mettre à parler d’eux-mêmes et de leur relation, ils doivent définir leur relation soit comme complémentaire ( par exemple celui qui a tort peut admirer l’autre pour ses connaissances plus étendues ) soit comme symétrique et celui qui a tort va démontrer que Mozart ou n’avait pas 35 ans accompli ou que sa date de naissance est erronée selon les experts historiques qui dernièrement ont révélé que… Bref peu importe le contenu, l’important est de maintenir une position symétrique.
Si cette affirmation est énoncée dans une conversation entre deux musicologues ; celui qui reçoit l’information peut se sentir blessé et réagir par la colère ou le sarcasme « Tu me prends pour un ignare » L’énoncé ne transmet aucune information réelle mais place le désaccord au niveau relationnel. Les individus s’offrent mutuellement des définitions de cette relation et par implication des définitions d’eux-mêmes. « Je te dis comment je me vois dans la relation que j’ai avec toi dans cette situation précise ».
Le partenaire peut répondre de trois façons à la définition que l’autre fait de lui-même et ces 3 réactions sont d’une grande importance pour la pragmatique de la communication humaine.
Il y a la confirmation : le partenaire accepte la définition que l’autre donne de lui-même. Notre vie est peuplée d’expériences de confirmation par l’autre. Etre confirmé dans notre identité est un des buts principaux de nos communications. Cette confirmation permet d’assurer maturation et stabilité psychiques. L’homme a besoin de communiquer avec autrui pour arriver à la conscience de lui-même. « Une société peut être dite humaine dans la mesure où ses membres se confirment les uns les autres ».
Il y a le rejet : le partenaire rejette la définition que l’autre a de lui-même dans la relation. Pour rejeter, il faut au moins reconnaître l’existence de la réalité d’autrui. (Cfr bande dessinée Ducobu)
Il y a le déni : l’autre nie sa capacité à se définir dans la relation ( ex : interactions aliénante ») (cfr Kid Paddle)
. Règles, normes, valeurs, rôles
Tous égaux dans la théorie des règles familiales ? Petite mise au point théorique sur ces différentes notions
– Règles familiales
Nous pouvons observer que la relation entre des étrangers est relativement sans importance puisque porte peu à conséquence dans le temps. Alors qu’à l’inverse, dans une relation continue, cette notion revêt une dimension à la fois vitale et complexe. En effet, pour que la relation puisse être constructive, il est important qu’elle soit stabilisée en un compromis afin de ne pas mener à une dislocation de l’existence même de la relation. On s’accorde pour dire que l’interaction familiale est organisée. Cette organisation est nécessaire pour le bon fonctionnement, et plus simplement encore, pour l’existence de l’unité familiale.
Aussi, les membres de famille que nous allons être amenés à étudier sont parvenus à stabiliser le processus de détermination de la nature de leur relation, « à se mettre d’accord » sur les conventions relationnelles ou règles. Ces dernières limitent les comportements individuels et organisent les interactions entre individus en un système raisonnablement stable, même si ces règles ne sont pas toujours entièrement connues des participants.
La règle, dans le cadre de relations familiales, est une abstraction, une métaphore construite par l’observateur pour rendre compte de la redondance observée. La famille est un système régi par des règles : ses membres se comportent entre eux d’une manière répétitive et organisée, et ce type de structuration des comportements peut être isolé comme un principe directeur de la vie familiale. La famille exerce une interaction dans tous les domaines selon des séquences répétitives même si certaines répétitions sont plus systématiques dans certaines situations que dans d’autres.
On peut qualifier ces règles de normes.
– Règles familiales = Normes
La norme pourrait être représentée par le mécanisme homéostatique tel le thermostat d’une chaudière, soit la façon dont deux personnes s’accordent à se définir elles-mêmes à l’intérieur de la relation. On pourrait dire que les mécanismes homéostatiques sont le prolongement des transactions portant sur les définitions relationnelles en vertu desquelles les premières règles ont été appliquées ; c’est une forme d’ajustement des premières règles en terme de « code » à usage privé pouvant conférer aux moindres gestes la plus haute signification. Ce qui permet une économie importante dans la réplique entre les interlocuteurs (tant des sujets dont on peut discuter que de la manière d’en discuter) … mais complique quelque peu le travail de l’observateur !
Figure 1
Schéma figure I : on peut considérer les mécanismes homéostatiques comme des comportements délimitant les fluctuations d’autres comportements et les contenants dans le registre où la norme est pertinente.
Figure 2
Schéma figure II : Si la norme de la famille est qu’il n’y a pas de désaccord, lorsqu’il y aura le moindre conflit, on observera un malaise général voire un comportement symptomatique de la part du supposé malade. La famille s’affole, forme une coalition (souvent contre le patient) et la norme tient bon jusqu’à la prochaine fois.
– Normes ≠ Valeurs
Attention : normes et valeurs ne doivent pas être confondues, le terme de « valeur » étant un concept sociologique. En effet, une norme décrit des relations interpersonnelles tant sur le fond que sur la forme alors que les valeurs, elles, sont impersonnelles quant au fond et individuelles quant à la forme.
Néanmoins, dans notre cadre théorique de la famille, l’invocation des valeurs peut constituer une sorte de mécanisme homéostatique : elles pourraient revêtir la forme de coalition extra-familiale (en référence à la religion, la société, la culture, …) exerçant ainsi une pression sur les relations dans la famille. Les valeurs serviraient alors de moyens tactiques interpersonnels pour soutenir ou imposer une norme.
– Règles et rôles
La notion la plus communément admise dans la théorie de la communication est probablement celle des rôles. On pourrait la définir comme suit : un rôle familial est un modèle abstrait du statut légal, chronologique ou sexuel d’un membre de la famille (mère, mari, fils, sœur, …) ; ce modèle définit certains comportements souhaités, permis ou interdits concernant la personne qui l’assume. Certains courants utilisent ce concept de rôle familial pour comprendre le fonctionnement de la famille ainsi que sa structure.
Cet aspect théorique semble très voisin de la théorie des règles familiales puisqu’il est également centré sur l’étude des comportements solidaires des membres de la famille… mais il n’en est rien ! Notamment parce que nous retrouvons dans ce concept une catégorie fondamentalement individuelle, tant par son origine que par son orientation, qui par voie de conséquence, est mal appropriée à l’étude du processus familial. Le rôle isole l’individu et en fait un objet d’étude séparé, si bien que les relations entre deux individus ou plus ne sont inévitablement traitées que comme des phénomènes secondaires.
Le second point de divergence consiste en ce que le concept de rôle est inséparable d’une conception de la structure familiale limitée à la considération des facteurs culturels, ce qui revient à classer les gens en fonction de leur conformité ou non-conformité à des catégories déterminées à l’avance (On suppose de parti pris que dans une famille saine le père assume le rôle du père, la mère celui de la mère, le fils celui de l’enfant de sexe masculin,…). C’est négliger les aspects du processus interactionnels qui peuvent être déterminants.
Le troisième point recourt à l’observation par opposition aux définitions a priori. Autant conclure en disant que la notion de rôle, en général, est envisagée uniquement sous l’aspect théorique et non phénoménologique.
Règles et rôles sont donc deux manières fondamentalement différentes d’envisager les données familiales.
P.-S.
Sources :
A la recherche de Palo Alto, J.-J. Wittezaele et T. Garcia, Seuil, 1992
L’étude de la famille, D. D. Jackson, 1965
Une logique de la communication, P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, D. D. Jackson, 1967
Ce document a été réalisé dans le cadre théorique de notre première année de formation au CFTF. Notre présentation comportait des exemples, extraits de film et jeux de rôles difficilement traduisibles par écrit.
Jean-Bernard Lievens